Laissez les Conseils Régionaux tranquilles

Laissez les Conseils Régionaux tranquilles

J’ai lu quelque part, parmi un chapelet de propositions en vue du dialogue national, une aberration consistant à supprimer les Conseils Régionaux pour les faire remplacer par le Sénat. S’il vous plaît ! Le président Aziz ne s’était pas trompé en supprimant cette institution.

Encore une fois, la manière d’agir, les motivations personnelles et les circonstances particulières, ayant entouré l’élimination du sénat de notre architecture institutionnelle, relèvaient d’un bras de fer d’un homme avec la chambre en question, et non d’une vision et d’une volonté réelles de conduire une réforme de nos institutions dans le but de mieux servir la démocratie et l’état de droit.

Mais finalement, Ould Abdel Aziz a bien raison

Le Sénat chez nous, ne sert à rien. Sa disparition de notre paysage institutionnel depuis 2017 n’a rien changé. Il n’y a eu aucun couac, aucun dysfonctionnement inhabituel, une crise quelconque ou une situation face à laquelle, nous avions regretté l’absence du Sénat. Nos institutions ont continué à fonctionner de la même manière, nos problèmes n’ont guère changé de nature, d’ampleur… Nous sommes restés dans notre logique de gouvernance avec nos mêmes défis, nos difficultés, et nos discours n’ont point changé.

Une continuité qui, n’a pas manqué de détruire dans certains cas nos piètres acquis, et ce au nom d’une innovation qui n’en est pas une. Une proposition aux mauritaniens Je sais à priori que cette proposition ne sera pas actée. Elle sera rejetée parce qu’on répétera encore que notre pays est particulier. On dira que nous sommes uniques. Nous avons besoin d’une dictature pour avancer, un homme de poigne, et souvent c’est le profil du militaire putschiste qui sied. Voilà la réflexion étonnante que nous offrent beaucoup de compatriotes au cours de débats sur le devenir de notre pays.

Je n’adhère pas à cette aberration. Il suffit juste d’appliquer les lois. Il suffit de donner plus de pouvoir et d’indépendance à la justice. Il suffit de bien choisir et de bien former ceux qui ont la mission de juger, de rendre justice etc. Supprimer les Conseils Régionaux, c’est quand-même une curiosité, c’est comme un automobiliste qui prend un sens interdit dans la circulation, c’est aller dans le sens contraire de l’histoire et même de l’esprit nos institutions.

Dans tous les pays du monde, les modèles de gouvernance dirigiste, « top down », techniciste, descendant, ont montré leurs limites. Ainsi, la tendance est la gouvernance inclusive, participative qui promeut une meilleure implication des populations entre coproduction et coparticipation de celles-ci. D’autant plus que les territoires sont différents, chacun doit être considéré non pas comme un réceptacle de projets de développement pensés depuis le sommet, mais plutôt une construction sociopolitique, historique et culturel à part entière ; ce qui implique la prise en compte de la personnalité, la singularité, et des symboliques propres à chaque territoire.

C’est dans cette option que les Conseils Régionaux, qui s’inscrivent dans une dynamique de développement local et de décentralisation, ont un rôle crucial à jouer dans le contexte mauritanien. Si les Conseils Régionaux sont renforcés, dotés des moyens à la hauteur des compétences transférées, ils peuvent être un rempart contre les crises politiques liées aux questions de cohabitation, et d’unité nationale, de partage des richesses etc.

Mais pour ce faire, il faut que l’État lâche du lest en changeant de paradigme de gouvernance. Une rupture qui n’est pas du goût de ceux qui ont toujours volé la vedette aux populations locales, habitués à se substituer à elles, et même choisir à leur place etc.

Le développement n’est pas un parachutage de formules magiques ou de projets. C’est un processus, une dynamique, des choix et priorités nés, pensés dans les territoires, définis, portés par les populations elles-mêmes en toute liberté, soucieuses de transformer positivement leurs situations.
Qu’est-ce qu’il convient de faire ?

Au lieu de chercher à ressusciter le Sénat, qui a trouvé toute sa place dans les oubliettes, je propose le divorce du mariage incongru et antinomique que représente la dénomination : Ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation.

Ainsi, le dialogue national doit renforcer la décentralisation et le développement local par le renforcement institutionnel des Conseils Régionaux, et la création d’un ministère des Collectivités Territoriales, qui sera doté des moyens et missions lui permettant de conduire avec pertinence la politique de décentralisation.

En effet, le ministère de l’intérieur symbolise la déconcentration, le pouvoir de l’État, de l’exécutif qui se manifeste par le pouvoir des walis et Hakem (gouverneurs et préfets ), des représentants de l’Etat auprès des populations.

Ces derniers défendent plus leur poste politique, et agissent dans une logique de redevabilité et de reconnaissance à ceux qui les ont portés à leur poste de responsabilité que les populations. D’où toute l’arrogance et la condescendance de ces acteurs de l’Etat vis-à-vis des populations.

En revanche, les acteurs élus sont issus des territoires. Ils sont donc proches des préoccupations des populations, partagent souvent les mêmes difficultés, et sont plus prompts à les écouter, les entendre et les comprendre : (logique d’intervention identique).

Dès lors, le ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation doit disparaître sous sa forme actuelle. Il est ne sert pas la gouvernance démocratique, et souffre d’une ambivalence, qui constitue un frein à l’éclosion de notre processus de décentralisation et de développement local. Il ne peut être juge et partie, la tutelle de la décentralisation alors qu’il est l’incarnation du gouvernement (logique trop administrative et autoritaire), par opposition à la gouvernance, (logique transversale et multi acteur par essence fondée sur la concertation et la participation).

Une autre gouvernance est possible. Elle consiste à limiter les prérogatives des walis et les hakems pour circonscrire leurs pouvoirs aux questions régaliennes : la sécurité notamment.

Les questions de développement, de démocratie, de gouvernance économique, territoriale etc. doivent être du domaine du ministère des Collectivités Territoriales. Cette approche permettra aux populations de s’échapper du joug de l’État, de ses représentants en vue de faire leur choix en toute liberté, sans craindre d’éventuelles représailles.

Mon idée sur les propositions lues sur la toile

Toutes les propositions faites ici et là en perspective du dialogue national tournent autour d’un seul point : les élections, la transparence du scrutin présidentiel.

On voit clairement que l’opposition se préoccupe plus de son accession au pouvoir que d’administrer une thérapie de choc à notre grand corps malade : la Mauritanie.

Les vrais problèmes de notre pays sont : la cohabitation, l’unité nationale, l’école républicaine, l’état civil, la question du passif humanitaire, l’égalité des chances, une justice indépendante, une armée trop politisée, le détournement des forces de défense et de sécurité de leurs missions régaliennes, l’enrichissement illicite, la corruption, la gabegie, le népotisme, le clientélisme…). S’y ajoutent l’esclavage, la féodalité, le tribalisme, le régionalisme, le racisme et l’impunité à vie pour certains.

Voilà une liste infinie de maux qui plombent, entre autres le projet de construction d’une nation mauritanienne viable, la Mauritanie que nous voulions, une Mauritanie à laquelle nous rêvions depuis, le 28 novembre 1960.

Seyré SIDIBE

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