L’histoire de la langue française avec le continent Africain n’a jamais été amour et fascination. Les peuples ont résisté pour protéger leurs cultures. L’école française y a été imposée dans une logique d’acculturation et de domination, fidèle au projet du colonisateur. Mais comme toujours, le meilleur des « architectes » est céleste.
Le colonisateur ne pouvait imaginer le revers de son plan diabolique, en obligeant les enfants indigènes à aller à l’école pour apprendre la langue du maître, pour « être homme finalement », selon le prisme de l’impérialisme. La suite, vous la connaissez, avec les mouvements de la Négritude et la décolonisation qui mèneront aux Indépendances etc.
Mais pourtant, ces intellectuels qui ont combattu farouchement l’entreprise coloniale, n’ont pas pour l’essentiel, fait d’amalgame entre la langue et le projet colonial ; même si la langue n’est pas qu’un simple outil de communication. Elle est loin d’être neutre, innocente ; elle est plus complexe qu’on ne le pense.
Sur le continent, certains pouvoirs politiques révolutionnaires, sont allés trop loin avec le colonisateur, notamment la France, jusqu’à l’animosité, la rupture et même la déconnexion mais, il n’a jamais été question d’abandonner la langue française.
La révolution Guinéenne, du Président Ahmed Sékou TOURE, et la Révolution du pays des hommes intègres, conduite par Thomas Sankara (1983- 1987) représentent deux exemples éloquents du désamour, sur fond de complots, jusqu’à la haine entre la France et ces régimes.
En dépit de l’enthousiasme, du caractère émotif voire populiste propre aux pouvoirs révolutionnaires, ils ont gardé la tête sur les épaules. Jamais, ils n’ont décidé de débouter le français, autour duquel l’unité des nations Africaines, au lendemain des indépendances s’est construite : le français s’imposait comme une langue neutre et fédératrice.
C’est dans ce contexte historique que le français est arrivé en Mauritanie, dans les valises du colon qui nourrissait des appréhensions sur nos valeurs et nos langues, qui ressemblaient à des sifflements de serpents disait en ces termes, Jean-Marie Adiaffi dans, la Carte d’identité.
Heureusement, nos langues ont résisté par elles-mêmes, au regard du rapport de force. Mais leur triomphe, je crois confirme la position des linguistes, qui se réservent de s’intéresser à l’origine du langage. Question, qu’ils abandonnent à la métaphysique. C’est dire que les langues ont quelque chose de divin, supérieur aux hommes et qui semble les protéger. Elles arrivent toujours à survivre, même lorsqu’elles sont combattues.
L’unité linguistique autour de la langue du colonisateur : au nom de la construction nationale.
Les peuples Africains sont bien servis en matière de diversité linguistique. En Mauritanie par exemple où la question des langues n’est jamais abordée sans passion au point de menacer l’existence même de la nation,- le sujet n’est jamais traité avec de la hauteur, du réalisme et du pragmatisme -, on ne dispose que de quatre langues nationales, et le Français comme langue d’ouverture.
Contrairement à d’autres États Africains qui comptent plus d’une centaine : le Burkina Faso compte une quintaine de langues, le Congo Kinshasa environ 200 langues ethniques -, au Nigeria, on parle de 478 langues.
Ces quelques exemples, semblent attester que si la question linguistique ne cache pas, un projet politique compromettant, elle ne peut pas être objet de discorde nationale. Ces pays ont été colonisés à l’instar de la Mauritanie, mais ils ont laissé les langues en situation, évoluer librement, sans intervention extérieure.
De ces contacts ou rencontres, entre les langues certaines ont naturellement émergé pour leurs fonctionnalités dans la vie de tous les jours : elles ont gagné leurs statuts.
Ainsi, toute politique linguistique juste et cohérente doit partir de là, du fait que les langues qui s’imposent de ce contact expriment, un certain engouement des populations, donc une certaine légitimité, au-delà du cadre d’une communauté ethniquement constituée.
La crainte d’être manipulée
Depuis l’introduction au forceps de la langue Arabe en 1966, qui deviendra quelques années plus tard, la langue officielle à la place du Français, la langue de l’élite et de l’unité des Mauritaniens, jusqu’aux premières années de l’indépendance, les Mauritaniens ne font plus confiance à leurs dirigeants, surtout lorsqu’il s’agit de réformes linguistiques.
Si le français, n’a toujours pas de statut dans la Constitution Mauritanienne, il est tout de même pratiqué dans l’administration, et enseigné encore dans les écoles, à travers de nouvelles approches, notamment le passage d’un enseignement où l’enfant réfléchit en français à un enseignement où, il cherche juste à communiquer. C’est le minimum de compétences recherchées. C’est ce qui explique en grande partie, la baisse vertigineuse du niveau en langue française, puisse qu’on a changé de contenu et d’objectif de formation.
La peur de la langue française
Le Français est devenu une langue de déstabilisation. Publiquement, honni et haï, il reste pourtant la langue de formation choisie par l’élite et la classe dirigeante qui ne se gênent pas d’envoyer leurs enfants, dans la crème des écoles privées, en vue de garantir à leur progéniture, une formation sérieuse en langue française; si elles n’engagent pas un enseignant chargé de dispenser des cours de français à domicile.
Alors que le peuple est pris en otage dans un discours aux relents idéologique et identitaire, qui présente cette langue française comme un outil d’allégeance à l’ancienne puissance coloniale.
En quelques années, à la vitesse Grand V, on a assisté à une mise à mort planifiée des « ressources et potentiels francophones » du pays. La déchéance vient de commencer vers une médiocrité généralisée accompagnée d’une crise des valeurs qui a pour source l’école, l’Etat, la famille et qui a gagné avec facilité la société toute entière.
Chahutés et combattus, les francophones n’ont eu d’autres choix que de résister. Si certains ont pu s’adapter en se métamorphosant, du jour au lendemain en Arabophones, pour d’autres, ce n’était pas gagné, et c’est souvent la majorité. Ainsi, la pertinence de cette mesure est en cause, dans la mesure où, l’on ne peut pas développer une nation en marginalisant, une partie de l’intelligentsia. Et le plus souvent, cette partie rejetée chez nous, est vivement recherchée par les institutions internationales et les autres pays voisins qui n’hésitent à leur offrir hospitalité, fonction et nationalité. L’Etat mauritanien aura investi à perte au frais du contribuable. Ces cadres vont servir ailleurs. Et ironie du sort, la Mauritanie est parfois contrainte d’engager des experts qui coûtent trop chers pour faire des études. Et parmi, ceux-ci on trouve quelque fois, des concitoyens qui n’ont pas pu s’insérer dans le système. ils sont partis tenter leur chance ailleurs.
L’enthousiasme autour des langues nationales
Partout sur le continent, c’est par réalisme que l’élite Africaine avait pris fait et cause pour le français, par ce qu’elle était formée dans cette langue. Sa mise à l’écart était une menace pour l’existence des Etats embryonnaires, confrontés à de nombreux défis .
« Puisse que, vous dites que la langue de » l’autre » n’a plus droit de cité chez nous. Une langue qui nous a servis tous à relever de nombreux défis, jusqu’à la naissance de la Mauritanie, désormais, nous nous tournons vers nos langues nationales ». Cela correspond parfaitement à la nouvelle posture des défenseurs des langues nationales.
En effet, le français est devenu un ennemi par ce qu’il offre une formation qui repose sur le développement de l’esprit critique, et fortifie la capacité à réfléchir avant d’adhérer et parfois à dire non pour ne pas tomber dans la compromission des valeurs, avec les idéaux du 18 éme comme chantre.
Ainsi, on peut comprendre et expliquer aisément, le succès que prend la défense de la cause des langues nationales aujourd’hui en Mauritanie. Mais, dans sa logique, l’État ne pouvait présager que les défenseurs des langues nationales aillent jusqu’à demander l’intégration de celles-ci à tous les niveaux de l’enseignement mais surtout leur officialisation.
Comme le disait un manifestant, l’État est pris à son propre jeu. Il a détruit hier l’unité autour de la langue française, et une autre unité s’est formée autour des langues nationales, qu’on ne peut qualifier de langue de mécréants ou « langue du dehors », celles-là sont « du dedans » et non point besoin de passeport.
L’instrumentalisation de la question linguistique : où est l’avenir de la nation ?
Les calculs politiques qui ont prévalu au lendemain de l’indépendance continuent encore de fragiliser dangereusement la cohésion nationale.
Nos dirigeants n’arrivent toujours pas à s’émanciper des considérations sectaires et claniques pour penser, concevoir et planifier des projets qui profitent à tous les Mauritaniens d’aujourd’hui et de demain.
Ce sont ces mêmes manœuvres politiques qui ont sapé notre unité nationale, dont la santé était nettement meilleure aux premières années de l’indépendance.
Un piètre acquis. Mais à force de s’opiniâtreté, dans la même lancée, sans vouloir rien entendre, rien comprendre, finalement chaque génération a fini par détruire progressivement nos acquis fragiles et même frileux.
Notre unité nationale est désormais grabataire, à la suite de tripatouillages, de mauvaises manipulations, mais surtout de mauvais diagnostics, – comme c’est le cas dans nos hôpitaux- , mais en ce qui concerne la question linguistique, la mauvaise foi est plus déterminante.
Comment sortir de cette impasse ?
Pour sortir de cette situation, conséquence de plusieurs années de « politiques de mauvaise foi », il faut un courage politique des dirigeants.
Ces derniers doivent accepter, dans un sursaut patriotique que l’école n’est pas le champ d’expérimentation, regarder vers l’avenir en mesurant la portée de chaque décision à prendre en la conciliant avec les intérêts des générations actuelles et futures. Nous sommes comptables du type de sociétés que nous aurons légué aux Mauritaniens de demain. S’ils héritent de nous une société paisible, digne, solidaire, prospère, résiliente où la diversité et la différence ne sont pas stigmatisées, nous aurons gagné. Le contraire, est à redouter du fait que nous aurons failli et transmis nos difficultés, un lourd héritage et encombrant à des « innocents », une manière de les condamner, à l’échec.
Notre responsabilité est engagée !
Seyré SIDIBE