La langue française au bûcher

La langue française au bûcher

Dans le procès fait à la langue française dans mon pays  sur fond de la réforme de notre système éducatif, j’ai envie de dire que le français n’a pas besoin de partie civile ou de ministère public. Je suis Maure, Pulaar, Soninké et Wolof. Je parle toutes ces langues par hasard. Je ne sais  même pas comment, j’ai appris à parler ma langue maternelle. Je n’en garde aucun souvenir. Je m’identifie à toutes ces cultures qui constituent mon moule socioculturel.

 Dans ces langues, j’exprime mon intimité et transmets des valeurs identitaires singulières que le français ne peut pas dire sans trahir. Je ne suis pas français. Il n’y a pas de communauté française en Mauritanie. C’est une évidence. Mais il y a bel et bien une communauté linguistique francophone en Mauritanie constituée  d’une mosaïque de communautés nationales. Unie autour de cette langue étrangère, qu’il faut désormais regarder comme langue d’ouverture.

Je ne défends pas la langue de l’autre. Le Quai d’Orsay sait le faire. Je  ne fais pas l’avocat du diable, l’ambassade de France sait défendre la culture française et ses intérêts. La langue française n’a pas besoin de défenseurs en Mauritanie, l’Académie française a été créée à ce dessein.

En revanche, je défends mon diplôme. Je défends des années passées à l’école marquées par des efforts incommensurables pour exister parmi d’autres enfants parfois plus nantis. Je défends  chaque sacrifice consenti pour m’amener à réciter l’alphabet, à distinguer les voyelles des consommes et puis à me « battre » avec le stylo BIC pour le dominer, le dompter et ainsi pouvoir le prendre avec dextérité.

Je n’oublie pas aussi, les coups de bâton et de cravache que j’ai essuyés à chaque fois que je me suis trompé pendant les séances d’écriture. 

A cela s’ajoute, le sacrifice de mes parents pour assurer à une époque peu généreuse mes fournitures scolaires. Je ne défends pas « la langue des mécréants » pour reprendre l’expression de certains mais je défends mon gagne-pain.

Je ne suis pas tombé amoureux du français par hasard. Je suis né Soninké. C’est l’école de la République qui m’a présenté « cet intrus » et  m’a obligé à l’étudier. Je n’ai fait que subir. Je suis victime deux fois, hier et aujourd’hui.

On me frappait pour parler et écrire correctement dans cette langue au frais du contribuable pendant plusieurs années. Et maintenant, je suis sur les bancs des accusés pour avoir appris cette langue qu’on m’a imposée.  C’est ahurissant !

Le français, je l’ai appris au prix d’un surpassement de soi. Le soir, au moment où les enfants de mon âge jouaient, moi, j’étais astreint sur mes cahiers absorbant l’odeur insupportable de la lampe tempête ou de la bougie.

En mettant le français dehors, vous me mettez au chômage, au régime sec,  pire que les Ajustements Structurels des années 90 : la dévaluation.

Voilà pourquoi, je défends la langue française et non la France ou sa culture. C’est une langue de colonisation mais faisant partie intégrante désormais de notre patrimoine national  et Africain. C’est un héritage.

C’est un butin de guerre,  ainsi  l’affirmait  brillamment, Keteb Yacine  l’écrivain Algérien, le natif de Zighoud Youcef.

Cette langue a permis à ceux qui ont libéré le continent au Sud du Sahara comme au Nord de clamer leur humanité pour obtenir leur émancipation. Le mouvement de la Négritude en est un exemple parmi d’autres.

On ne développera jamais une nation, en mettant de côté une partie de l’intelligentsia et de surcroit l’élite. C’est un acte suicidaire. C’est comme si l’on brulé nos musées et bibliothèques. Or l’avenir sort du passé disait Djibril Tamsir Niang.

Essayons toutes les formules magiques et toutes les incantations  mais si  nos dirigeants pèchent par complaisance et  manque de réalisme, sur cette question linguistique, le développement ne sera que chimère ainsi que l’entente nationale.

L’école Mauritanienne est en  réalité une victime. On l’a piégée. La débâcle qu’elle connait n’est  qu’une conséquence de  nos choix politiques contradictions et controversés.

 Elle a servi de champ d’expérimentation  pour assouvir des politiques hégémoniques.

 Et voilà que tout l’échafaudage s’écroule emportant dans ce mouvement « les concepteurs- conspirateurs ».

Les assises sur l’éducation nationale auraient été une occasion rare  de rompre d’avec les politiques néfastes  qui ne créent pas les conditions de l’émergence d’un véritable Etat-nation, dont l’école constitue l’artisan et le garant.

Seyré SIDIBE

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