Il est des scènes si violentes qu’elles suspendent le temps. Non pas le temps des horloges, mais celui, plus profond, de l’humain. Face à elles, les mots viennent lentement. Il faut du courage pour en parler. Une forme de dignité aussi.
Le 7 avril 2025, à Sélibaby, en Mauritanie, un homme a été exhumé, traîné, insulté, lapidé. Ce n’était plus un vivant. C’était un mort. Et même la mort, ici, ne protège plus.
Il ne s’agit pas d’un simple débordement. C’est un effondrement moral. Ce jour-là, quelque chose d’irréversible s’est produit : la dignité humaine a été écrasée sous les yeux de tous.
Le savant Cheikh Anta Diop disait : « La barbarie n’est pas le monopole d’un seul peuple. » Il avait raison. Ce que nous avons vu à Sélibaby n’est pas un fait divers, mais le symptôme d’un mal plus profond : une société rongée par la haine, la hiérarchie sociale, l’humiliation ordinaire.
Quand une société perd le respect de ses morts, elle perd tout : sa mémoire, sa dignité, sa part d’humanité. Ce n’est pas seulement un cadavre que l’on a traîné. C’est une civilisation que l’on a humiliée.
Hannah Arendt parlait de « la banalité du mal » : cette horreur née de l’obéissance, de l’indifférence. C’est cela, le plus effrayant : notre capacité à faire le mal sans même en avoir conscience.
Le sacré n’a plus de place. La honte ne freine plus. La douleur de l’autre n’émeut plus. Nous avons cessé de ressentir. De résister. C’est une guerre déclarée contre l’humain lui-même.
Ce drame doit nous pousser à interroger l’État. Ce qui s’est passé à Sélibaby va laisser une blessure collective, un sentiment d’abandon irréversible.
Le maire de la ville, Oumar Hammady dit Ama Ba, était incapable de faire quoi que ce soit face à une foule déchaînée. La force publique, pourtant présente, n’a pas bougé. Où est le droit quand ceux qui doivent le faire respecter détournent le regard ?
Ubi societas, ibi jus — là où il y a société, il doit y avoir du droit. Sinon, nous sommes livrés à la loi du plus fort. Le juriste Sadio Dapha posait la question suivante: « Les auteurs iront-ils en prison pour profanation de tombe, mutilation de cadavre ? » Quelle justice pourrait encore réparer cela ?
Les vidéos de cette profanation ne sont plus des alertes. Ce sont des preuves. Les archives d’un désastre moral. On ne les regarde plus pour comprendre, juste pour s’indigner… Et puis oublier ?
« L’enfer, c’est les autres. » Mais parfois, l’enfer, c’est nous. Ce que nous tolérons. Ce que nous taisons. Ce que nous laissons faire.
Sous la pression, les autorités ont lancé une enquête. Des responsables régionaux ont été suspendus. C’est un début. Mais cela suffit-il à réparer l’irréparable ?
Nous devons savoir que la barbarie n’est pas un accident. Cette barbarie-là, surtout, est un choix de société. Et aujourd’hui, des barbares vivent parmi nous. Ils parlent nos langues. Marchent dans nos rues. Mais ils n’ont plus rien d’humain.
Il y a des gens sans cœur, sans âme. Des êtres qu’on ne peut plus nommer. Et c’est peut-être là, le drame ultime.
𝐒𝐨𝐮𝐥𝐞𝐲𝐦𝐚𝐧𝐞 𝐒𝐢𝐝𝐢𝐛é