Le Calame – En se hissant à la 33e place du Classement mondial de la liberté de la presse 2024, la Mauritanie occupe désormais la tête du classement des pays africains. Si les conditions d’exercice du journalisme se sont améliorées, de nombreux défis subsistent pour garantir le droit à l’information. Reporters sans frontières (RSF) appelle les candidats à l’élection présidentielle à d’ores et déjà prendre des engagements forts en la matière.
Au-delà d’un environnement sécuritaire moins dégradé que celui de nombre de ses pays voisins, l’amélioration de l’état de la liberté de la presse en Mauritanie doit beaucoup à une volonté politique de réformer le secteur des médias. La commission en charge de cette réforme a remis ses 64 propositions au président de la République en février 2022. Elles sont, depuis progressivement mises en œuvre.
Malgré ces progrès, les journalistes restent confrontés à des pressions et du harcèlement lorsqu’ils traitent de sujets sensibles tels que les inégalités sociales ou l’esclavage. En outre, des obstacles économiques et législatifs exacerbent toujours la fragilité de la presse mauritanienne.
À l’approche de l’élection présidentielle prévue le 29 juin prochain, RSF appelle les sept candidats déclarés à ce jour à poursuivre ce mouvement de réforme, en prenant publiquement dix engagements solennels pour soutenir la liberté de la presse et la sécurité des journalistes.
« La liberté de la presse en Mauritanie n’est pas un acquis, et la situation en matière de droit à l’information reste très instable. Les élections présidentielles offrent une opportunité pour que les candidats en fassent une priorité de leurs programmes et de leurs engagements. Des réformes concrètes doivent être menées pour la professionnalisation du secteur, la soutenabilité économique des médias et la protection des journalistes. RSF invite les leaders politiques à endosser dix engagements phares pour le renforcement d’une presse libre, indépendante, plurielle et de qualité.
Antoine Bernard
Directeur du plaidoyer et de l’assistance de RSF
RSF appelle les candidats à la présidentielle à prendre dix engagements solennels pour le renforcement d’une presse libre, plurielle et de qualité :
- Établir une école de journalisme offrant des programmes de haute qualité et des ressources appropriées pour encourager l’éthique, la rigueur et l’indépendance journalistique, tout en garantissant le droit à l’information.
Pour favoriser l’indépendance et la professionnalisation du secteur des médias, et ainsi lutter contre la désinformation, il est essentiel que le futur président s’engage à créer un Institut de formation des journalistes, comme préconisé par la Commission Weddady sur la réforme du secteur des médias, dans son rapport de février 2022. Il n’existe actuellement aucune formation de ce type à l’université de Nouakchott.
- Pérenniser le soutien aux médias et adopter des critères permettant d’adosser ce soutien au respect des standards professionnels, sur la base de la certification Journalism Trust Initiative (JTI) ;
Si les aides publiques distribuées via le Fonds d’appui à la presse privée ont fortement augmenté ces dernières années, il est vital que ce soutien soit pérennisé et que la répartition de ces fonds récompense les médias qui s’astreignent à des obligations en matière d’indépendance éditoriale, de méthodologie, de respect des règles éthiques et de transparence.
- Veiller à une meilleure gouvernance des revenus publicitaires dans l’espace médiatique ;
Le modèle économique des médias mauritaniens, basé principalement sur les revenus publicitaires, n’est pas réellement viable, a fortiori face au développement continu des médias en ligne dans l’écosystème médiatique.
- Assurer l’indépendance du service public de l’information et favoriser l’inclusion des différents acteurs politiques et sociétaux pour garantir son pluralisme, en particulier en période électorale ;
- Renforcer l’autonomie et l’indépendance de la Haute Autorité de la presse et de l’audiovisuel (HAPA) ;
Afin d’amoindrir le risque de clientélisme et de favoritisme, il est également crucial d’assurer une égalité d’accès aux sources d’information entre médias privés et médias publics, tout en renforçant davantage la représentativité et l’indépendance du régulateur national.
- Adhérer au Partenariat pour l’information et la démocratie, initié par RSF ;
L’adhésion de la Mauritanie au Partenariat pour l’information et la démocratie, initié par RSF et signé, à ce jour, par 52 États, serait également un signe fort de la part du futur président en soutien à un espace informationnel libre, fiable, démocratique et pluraliste.
- Lutter contre l’impunité des crimes contre les journalistes en donnant des instructions au parquet de diligenter des enquêtes systématiques et promptes face aux cas avérés de menaces ou de violences envers les journalistes ciblés pour leur qualité professionnelle ;
- Assurer la protection des journalistes en assurant une communication efficace entre les ministères de l’Intérieur et de la Défense nationale et les professionnels des médias pour prévenir les incidents et garantir la sécurité des reporters, en particulier dans les zones frontalières du Mali, à l’est du pays, et au nord du Sahara ;
Bien que les journalistes mauritaniens aient été relativement épargnés par les attaques armées qui sévissent au Sahel, il est essentiel que la future présidence garantisse leur sécurité, en œuvrant à prévenir, poursuivre et punir toute agression, physique ou verbale, subie en raison de leur qualité professionnelle. Et il reste primordial d’assurer du mieux possible la liberté de mouvement et la sécurité des reporters qui se rendent sur des zones à risque, comme la frontière avec le Mali ou le nord du Sahara.
- Abroger les dispositions liberticides du Code pénal dénoncées par les organisations représentatives de la profession, y compris celles issues de la loi sur la protection des symboles nationaux ;
RSF invite les autorités à poursuivre le mouvement vertueux initié par la dépénalisation des délits de presse en 2011, en amendant ou en abrogeant les dispositions législatives qui érigent certaines “zones rouges” pour les médias, dont la loi sur la protection des symboles nationaux adoptée en 2021. Une loi moins restrictive et enfin codifiée offrirait un cadre juridique plus prévisible et sécurisant aux professionnels des médias.
- Garantir la prévisibilité de la loi sur la presse en instaurant un Code de la presse unique et régulièrement mis à jour. Et promulguer une loi relative au droit d’accès à l’information, renforçant ainsi la transparence et l’accès du public aux informations d’intérêt général.
La Mauritanie occupe la 33e place au Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF en 2024.