Vatican news : Dans la Mauritanie actuelle, le racisme et l’esclavage continuent de porter un sérieux coup aux droits humains. S’il n’existe pas encore à ce jour des statistiques officielles sur le nombre de personnes victimes, plusieurs communautés sont au quotidien confrontées à cette dure réalité, qui constitue une grave atteinte à la dignité humaine selon Dieynaba N’Diom, sociologue et féministe mauritanienne.
Augustine Asta – Cité du Vatican
« Aujourd’hui encore en 2024, on voit de manière très claire et un peu partout qu’on a de l’esclavage qui se pratique ici en Mauritanie sous différentes formes, et c’est le seul pays où vous allez entendre parler du tribunal contre l’esclavage. Rien que la présence de ce tribunal témoigne l’existence aussi de cette pratique. L’esclavage et le racisme sont deux réalités encore au 21 ème siècle en Mauritanie ». Ces propos sont ceux de la sociologue Dieynaba N’Diom. Cette féministe engagée martèle que c’est un déni de penser que dans l’État désertique de la Mauritanie, situé au nord-ouest du continent africain, les pratiques esclavagistes et le racisme sont un lointain souvenir.
La pratique de l’esclavage
Dans les faits, plusieurs personnes vivent par exemple sous le statut d’esclave ou d’ancien esclave. « La personne n’a pas la liberté de ses mouvements. Elle ne jouit pas du droit à l’éducation par exemple. En fait, c’est une personne qui est soumise à d’autres qui l’utilisent à leur guise. Certaines sont des personnes qui ont été « affranchie ». Mais il y a par contre plusieurs autres qui sont encore sous l’esclavage. Dans la mesure où la personne ne peut rien faire d’elle-même, ne peut rien décider, n’a accès à rien du tout. Elle n’est là que pour le désir et le bon vouloir du « maître », confie la militante des droits humains. Les pratiques esclavagistes malheureusement, restent donc et demeurent encore d’actualité à ce jour en Mauritanie.
Des personnes socialement inférieures aux « autres »
La Mauritanie regroupe plusieurs composantes sociolinguistiques et culturelles. Des Soninkés, Wolofs, Peuls, Maures blancs, Arabes, Berbères et aussi les Bambaras pour ne citer que celles-ci. « C’est dans les communautés Négro-mauritaniens notamment les Wolof, les Poular et les Soninké qu’il existe encore ces pratiques d’esclavagistes, mais sous une forme où c’est une caste qui subit encore toutes les discriminations possibles parce que la personne n’est pas née dans la bonne famille ou elle est considérée comme descendante d’esclaves, entre autres. Donc la personne est de ce fait considérée socialement comme inférieure aux autres », affirme le cœur meurtri, Dieynaba N’Diom avant d’ajouter : «Il y’a aussi les Arabo-berbère qui sont un peu en relation avec la communauté descendant des esclaves qu’on appelle « Haratines ». Ce sont en effet les Arabo-berbères, qui ont soumis les « Haratines” à l’esclavage. Et c’est souvent de cette forme d’esclavage qu’on parle le plus, parce que c’est le plus effroyable et c’est le plus visible aussi en Mauritanie », dit-elle.
Les femmes, principales victimes
Les personnes qui payent le lourd tribut des différentes pratiques esclavagistes, ce sont bien évidemment les femmes. « C’est la femme qui souffre le plus parce qu’elle subit des viols à répétition. Des femmes qui subissent aussi les violences physiques, sexuelles, psychologiques (…). Ce sont des femmes qui n’ont aucune dignité humaine et qui ne sont là que pour le bon vouloir des chefs, des hommes, des mâles, de la tribu », explique Dieynaba N’Diom.
Les personnes anciennement réduites à l’esclavage vivent avec ce poids au sein de la société. Leur libération n’est toujours pas évidente. « Les personnes qui ont été dans cette situation, ce n’est pas facile de les enlever du bras du « maître « . Car une personne qu’on n’a pas outillée, qu’on n’a pas éduqué de telle sorte qu’elle soit autonome, c’est toujours difficile de la libérer. Il y a même certains « esclaves » qui ne veulent pas être libérés. D’autres disent carrément qu’ils préfèrent être « esclaves » à vie. Tout ça, parce que on leur a appris toute leur vie à être dépendants d’autres personnes et forcément pour ces gens, même si on les libère, ils se sentiront selon eux encore plus perdus. Car ils pensent qu’ils n’arriveront pas à s’intégrer de manière optimale dans la société», décrie-t-elle.
L’esclavage et le racisme : deux problèmes bien distincts
De l’avis de Dieynaba N’Diom, l’esclavage est un fait en Mauritanie. Le racisme aussi. Le phénomène dit-elle « touche tous les noirs » dans son pays. Une autre terrible réalité qu’il faut combattre à tout prix. « Tout noir mauritanien qu’il soit issu de l’esclavage ou pas, qu’il soit né libre ou pas subis le racisme. Tout simplement parce que tu es un noir qui évolue en Mauritanie. Une personne peut donc être en Mauritanie ne pas être victime d’esclavage mais être plutôt victime du racisme », argue-t-elle.
Quelle que soit leur classe sociale, quelle que soit leur identité, quelle que soit la communauté à laquelle elles appartiennent, « les personnes noirs subissent toutes, d’une manière ou d’une autre, le racisme». Le racisme en Mauritanie «est d’abord systémique. Ce n’est pas forcément à coup de loi, mais c’est fait de manière très subtile», témoigne l’amazone des droits humains.
Conséquences palpables
L’ampleur du problème est tel que les conséquences ne tardent pas. «Il y a ces discriminations qui sont là, qui planent toujours, qui font que dans ces communautés, les populations sont les plus vulnérables, elles n’ont pas forcément accès à beaucoup de choses, par exemple les terres, les positions politiques dans les villages…et , c’est encore ces personnes qui sont discriminées», lance-t-elle. Le pire c’est qu’«il n’y a aucun levier de pouvoir qui est détenu par des Noirs.
Depuis la création de la Mauritanie jusqu’à ce jour, il n’y a eu aucun Noir qui a été président du pays. Aucun. Il n’y a aucun Noir en Mauritanie qui dispose par exemple d’une télévision ou d’une radio. Il n’y a aucun Noir en Mauritanie qui a une banque. Il y a aucun Noir en Mauritanie qui occupe un poste de responsabilité stratégique».
En revanche « les Noirs aujourd’hui subissent les foudres du système en place, car ce sont eux malheureusement le maillon faible de la société. Ils n’ont pas accès à une éducation de qualité, n’ont pas accès à un système de santé de qualité, n’ont pas accès aussi au travail», affirme Dieynaba avant de poursuivre son propos. «Dans les années 1986 à 92 il y a eu un génocide qui a visé que les Noirs mauritaniens. Des villages entiers ont été décimés. Ça c’est avant. Mais aujourd’hui, on assiste à une autre forme de génocide qu’on appelle le « génocide biométrique ». On est en train d’enregistrer la population de manière biométrique et on se rend compte que les seules personnes qui ne sont pas faites encore enregistrées et qui ont des difficultés à avoir leurs papiers, ce sont les Noirs», se désole Dieynaba N’Diom, qui croit dur comme fer que ce sombre tableau est le fruit du système politique actuel.
“La Mauritanie à plusieurs composantes sociologiques. Mais on a qu’a même pris la langue arabe et mis au-dessus de toutes les autres langues. Ce qui fait que tout le système éducatif est complètement arabisé. Aujourd’hui en Mauritanie, l’éducation n’est rien d’autre que le reflet de l’idéologie politique du système en place, qui n’est rien d’autre qu’un moyen de domination d’une population par rapport aux autres. On va vers une aliénation culturelle au vu et au su de tous”
Un construit social
Pour la sociologue mauritanienne l’existence de l’esclavage et du racisme «est avant tout un construit social». Dieynaba N’Diom explique la persistance de ces pratiques par le fait qu’il «y a des gens qui sont construits socialement, qui pensent qu’ils sont les maîtres des autres, qui pensent qu’ils sont supérieurs aux autres, qui pensent qu’ils ont le droit de disposer de l’intégrité physique et morale de quelqu’un d’autre». La féministe engagée affirme qu’avec des normes sociales pareilles «on enregistrera toujours ces énormités».
Pesanteurs socioculturelles et religieuses
Dans une société diversifiée et complexe comme la Mauritanie, la mauvaise interprétation de la religion fait perdurer l’existence de l’esclavage, du racisme et autres discriminations. «On a des livres écrits par des grands savants arabes et musulmans qui cautionnent et même parlent de l’esclavage comme étant une pratique qui est partie intégrante de la religion musulmane. Donc forcément, il y a bien sur cette teinte de la religion musulmane qui est là, qui tolère et qui explique», confie t-elle. À cela s’ajoute les pesanteurs socio-culturelles .
“Nous vivons sous les normes socioculturelles qui nous oppressent. Nous vivons en fait sous des normes où le système patriarcal qui crée des discriminations dont nous sommes en fait toutes victimes. Par exemple, aujourd’hui en Mauritanie, la femme blanche n’a pas les mêmes besoins que la femme noire. La femme noire est doublement discriminée par rapport à la femme blanche. Car la femme noire, elle a une autre forme de couche de discrimination qui s’ajoute à sa condition féminine qui est le racisme. Et quand on parle de la femme esclavagisée, c’est à dire qu’il y a encore une triple couche de discrimination”
Les stratégies de lutte
En Mauritanie, l’esclavage a été officiellement aboli en 1981, mais n’a été reconnu dans ce pays comme crime contre l’humanité que depuis 2015. Pourtant «il y a peu de cas de personnes qui sont allées en prison pour pratiques d’actes esclavagistes. Parce que ceux qui sont censés juger les personnes qui commettent ce forfait, sont les premiers à être des esclavagistes.
Et c’est quelque chose qui est tellement ancrée dans les consciences mauritaniennes que ceux qui le pratiquent pensent que c’est normal», témoigne-t-elle en nuançant tout de même ses propos. «L’existence des institutions et de la loi anti esclavage montre quelque part quand même que les lignes bougent. Mais une fois encore, je pense qu’il y a un manque réel de volonté politique. Si on veut vraiment abolir l’esclavage de manière vraiment très optimale, il n’y a pas que les tribunaux et les lois, il y aura aussi les moyens d’accompagnements», émet comme réflexion la fervente militante pour les droits humains.
«Seule la lutte libère»
Aujourd’hui explique la sociologue et militante féministe de première heure, le plus grand travail serait de «démêler le vrai du faux par rapport à la religion. Que dit vraiment la religion dit dans sa pratique fondamentaliste? Que pouvons-nous en tirer?», s’insurge-t-elle.
Le combat pour le respect des droits humains c’est tout suite et maintenant. Dieynaba N’Diom qui a consacré presque toute sa vie au nom du combat pour le respect de la dignité humain affirme avec force que «seule la lutte libère». Elle plaide pour qu’en Mauritanie «les tribunaux anti-esclavagistes soient plus opérationnels mais surtout que la loi soit respectée». Elle souhaite plus que jamais « que les personnes qui sont ou qui étaient en situation d’esclavages soient prises en charges et réintégrées » à travers des programmes au sein de la société.