Le Calame – Les mauritaniens ont appris votre réconciliation avec le président Biram Dah Abeid avec qui vous étiez brouillé depuis plusieurs mois. On imagine que ça a été un ouf de soulagement pour les deux parties et même pour l’opposition mauritanienne ?
Mohamed Ould Maouloud : Effectivement on ne peut que se réjouir de mettre ainsi un terme à un épisode qui a porté tort à tout le monde. L’initiative de Biram Dah Abeid était courageuse et responsable. Nous l’avons accueillie favorablement et ensemble avons décidé de tourner cette page regrettable.
Ce qui constitue une victoire commune au bénéfice de nos partis et de toute l’opposition. Bien sûr, il arrive très souvent que les forces politiques divergent sur certaines questions. Là n’est pas le problème. Elles doivent simplement veiller à ne pas compromettre les relations personnelles qui pourraient rendre possible des concertations souhaitables ou même des solidarités nécessaires.
Les mauritaniens ont réélu le président Ghazwani pour un second quinquennat selon les résultats proclamés par la CENI et validés par le Conseil constitutionnel. Il a prêté serment le 1er août dernier. Quelle évaluation vous avez faite du scrutin présidentiel, des résultats des candidats de l’opposition?
Les candidats de l’opposition ont soit contesté les résultats soit émis des réserves. Une crise électorale a failli dégénérer gravement, marqué par la suspension d’Internet et malheureusement par la mort de quatre jeunes manifestants et un bébé. Le pouvoir est entièrement responsable de cette situation. Il n’a pas voulu corriger les anomalies et insuffisances du processus électoral dénoncées par la majorité de la classe politique suite au élections municipales et législatives de 2023. Dès lors la présidentielle avait ce péché originel qui entachait sa crédibilité.
Pourtant, c’était évitable. Par un dialogue sérieux, on pouvait aboutir à des élections consensuelles dont les résultats seraient acceptables par tous. Pour notre part, nous avons avec le RFD pris des initiatives dans ce sens avec le projet de dialogue inclusif (2021) puis de Pacte républicain (2024). Mais à chaque fois, au moment d’aboutir, elles étaient sabordées.
Lors de cette présidentielle, votre parti avait choisi de soutenir le candidat Me El Id M’Bareck. Peut-on savoir pourquoi Me El Id et non le président Ghazwani avec lequel votre parti venait de signer le pacte républicain ? Quelle évaluation vous faite du soutien et de la campagne de votre candidat ?
Le Pacte n’était pas destiné à servir d’accord électoral, contrairement à ce que certains ont pu supposer. Il s’agissait d’un projet de contrat à établir entre toute la classe politique, opposition et majorité, pour s’entendre sur les grands dossiers nationaux (l’unité nationale, les élections, les conditions de vie des populations, la lutte contre la corruption, l’insécurité, etc.), sans pour autant changer de statut.
Les conditions des élections étant demeurées ce qu’elles étaient, nous avons décidé de ne pas nous présenter, mais aussi de ne pas boycotter. Notre soutien s’est porté sur El Id, le meilleur candidat à nos yeux. Pour de multiples raisons. Son parcours politique s’identifie à celui de l’opposition démocratique depuis les années 1990.
C’est un avocat qui était de tous les combats pour défendre les victimes des injustices et discriminations, et un député qui n’a cessé de démasquer toutes les mauvaises décisions gouvernementales.
La campagne du candidat El Id était bien partie lorsque au beau milieu du gué, le robinet des soutiens financiers s’est brusquement tari contre toute attente. Malgré ce coup bas, son résultat fut honorable en arrivant quatrième dans une course difficile.
Dans son discours d’investiture, le président de la République a proposé la tenue d’un dialogue politique inclusif. Comment avez-vous accueilli cette offre? Ne vient-elle pas enterrer le pacte républicain que votre parti avait signé avec le RFD, d’une part et la majorité d’autre part ? L’UFP participera-elle à de telles assises ? À quelles conditions ? Que pourrait faire votre parti pour aider l’opposition à parler d’une seule voix face au pouvoir ?
Une offre de dialogue par le président de la République ne peut qu’être accueillie favorablement par l’opposition. Mais l’échec de toutes les tentatives de dialogue durant le mandat précédent laissent un gout amer et incitent à la prudence. Rappelez-vous la feuille de route pour un dialogue » sans tabous et sans exclusion », signé par la plupart des partis de l’opposition et de la majorité en février 2021.
Annulé par le pouvoir à la veille de la tenue des ateliers. Rappelez-vous aussi de la signature en grande pompe au ministère de l’Intérieur d’un accord sur le processus électoral entre tous les partis en fin 2022, et resté lettre morte pour les élections qui ont suivi en 2023.
Et le Pacte Républicain et ses 18 points signé publiquement par le gouvernement en fin septembre 2023 et resté sans suite alors qu’il était destiné, entre autres, à normaliser la scène politique et à réaliser le consensus sur le processus de l’élection présidentielle de 2024.
Espérons que cette fois-ci soit la bonne. Et que la politique d’ouverture et dialogue ne serve pas à nouveau à diviser l’opposition et à créer un apaisement politique factice. Les enjeux et défis sont tels que le risque est énorme pour la stabilité du pays. La contagion de l’insécurité et de l’instabilité menace à nos frontières et le risque de rupture interne ne peut être écarté.
En toute logique, un dialogue sérieux doit prendre pour base les acquis des accords déjà signés, notamment, les conclusions du dialogue politique du ministère de l’Intérieur de 2022 et les 18 points du Pacte républicain de 2023, et bien sûr être ouvert à toutes autres propositions. A propos de l’unité de l’opposition, je ne vous cache pas toute notre déception suite à l’échec de nos tentatives passées. Malgré cela, nous restons disponibles pour toute concertation destinée à rétablir la confiance et à permettre une éventuelle unité d’action.
Dans cet esprit, nous avons décidé avec nos alliés de la campagne présidentielle de maintenir notre coalition pour poursuivre ensemble la lutte pour les réformes prioritaires.
Le président Ghazwani a réitéré sa volonté à éradiquer la gabegie et la corruption. Pensez-vous qu’il peut mieux faire que ce qu’il a fait lors de son premier mandat ? Le choix de son premier ministre et les premières orientations augurent-ils d’ un changement de gouvernance ?
La volonté du Président est une chose, l’attitude de ce que l’on appelle l’État profond est une autre. On le constate à travers l’envoi de messages contradictoires. Le pouvoir clignote en même temps à gauche et à droite. Il limoge certains directeurs généraux et en même temps procède à des nominations controversées après avoir jeté en prison, sur simple plainte, Mohamed Ould Ghadda, président de l’ONG qui avait osé dénoncer des malversations dans les marchés publics et cela sans même attendre la décision de justice.
En réalité, l’État est sous l’emprise d’un système clientéliste, de distribution de nominations, de prébendes et autres privilèges, qui garantit au pouvoir les ralliements de larges secteurs de la population dans un système démocratique perverti. Il est donc illusoire d’attendre qu’un tel système permette une lutte vigoureuse réelle contre la gabegie dont il tire sa raison d’être.
A moins d’une prise de conscience du danger d’effondrement que fait courir la corruption à tout l’édifice étatique et à la stabilité du pays. A moins d’une volonté forte du chef de l’État de nettoyer les écuries d’Augias, et qui s’adosse sur des contre-pouvoirs. En particulier sur un consensus national et une entente avec les forces de changement pour des réformes et mesures nécessaires pour instaurer un État de droit, en finir avec l’impunité et éradiquer ce fléau.
Sinon, toute entreprise dans ce sens restera vaine face au sabotage des lobbies et mafias qui prennent en otage l’Etat.
Que pensez-vous de la décision du ministère de l’enseignement supérieur relative à la non attribution de bourses aux étudiants désireux de poursuivre leurs études à l’étranger ?
Je crois que le ministère de l’enseignement supérieur veut bien faire. Mais il y a une grande confusion sur le sujet et le dernier communiqué de la commission des bourses ne l’a pas dissipé.
Un étudiant mauritanien, quel que soit le niveau de ses études, qui prouve son sérieux par sa réussite en première inscription à l’étranger mérite de bénéficier d’une bourse nationale. C’est le cas également des majors au baccalauréat dont le nombre est forcément limité, ce qui ne gênerait en rien la politique du département en matière de bourse.
Cependant il serait rationnel de réserver non pas l’exclusivité mais la majorité des bourses à l’étranger aux étudiants en master et en doctorat.
Que pensez-vous de la décision du gouvernement d’introduire les langues nationales Pulaar, Soninke et wolof dans le système éducatif pour une expérience de quelques années alors qu’il refuse l’officialisation des dites langues? L’école républicaine dont on parle est-elle sur de bons rails? Peut-elle ainsi contribuer à renforcer l’unité nationale et la cohésion sociale ?
Beaucoup de questions à la fois, chacune nécessitant un développement particulier.
L’introduction des langues nationales pular, soninké et wolof dans le système éducatif tel que prévu dans la nouvelle réforme est un grand pas dans la bonne direction, celle du renforcement de l’unité nationale, mais aussi de la restauration dans leurs droits de composantes nationales négro-africaines. Elle doit être suivie par l’officialisation de ces langues.
Et pour que cette revendication ait un sens, il faut donner consistance à l’officialisation de l’autre langue nationale l’arabe qui peine à être acceptée comme telle depuis plus d’un demi-siècle.
L’école républicaine est une bonne option, mais les mesures d’accompagnement ne sont pas encore au point (infrastructures, manuels, nombre d’enseignants, politique d’incitation du personnel, problème de sécurité pour les petites classes, tenues scolaires etc).
Si des mesures énergiques et certainement coûteuses ne sont pas prises à temps, cette belle idée risque de sombrer, victime de réticence et de défiance vis-à-vis d’une entreprise nationale pourtant salutaire. Les failles commencent déjà avec l’autorisation pour les écoles privées étrangères à enseigner les premières classes du primaire.
On peut s’attendre à un rush pour l’inscription des enfants de l’élite dans ces écoles. Et le retour presque à la case départ avec une situation de ségrégation entre enfants de la classe gouvernante et ceux du peuple.
Au lendemain de la publication de la composition du gouvernement, le vice-président de votre parti Gourmo Lo a réagi face aux dosages et a demandé l’institutionnalisation du tribalisme. C’est la position du parti?
Ce n’est ne pas connaître, le vice-président Lo Gourmo que d’interpréter ainsi ses propos qui visaient clairement à tourner en dérision la détestable pratique du dosage tribal dans la confection du dernier gouvernement ; dosage, par ailleurs très discriminatoire vis-à-vis de certaines composantes nationales de plus en plus sensibles au statut marginal qui leur est réservé. Certains membres des élites haratine et négro-africaine n’ont pas manqué de s’en faire l’écho. Un gouvernement doit refléter le visage de la nation, sans quotas prédéfinis à la libanaise, mais sans marginalisation manifeste.
Notre voisin le Sénégal s’est engagé à renégocier les contrats pétroliers et gaziers dont certains concerneraient notre pays. Pensez-vous que la Mauritanie devrait suivre cette option?
Tout à fait. L’atout majeur des deux pays est leur solidarité. Elle est indispensable dans toute démarche en direction de nos partenaires. Pour le reste, la renégociation est une question d’opportunité, et de tact, qui doit obtenir le consentement de ces partenaires.
Le gouvernement de Ould Diaye a ordonné la fin de la spéculation sur le ciment et a décidé en accord avec les cimentiers d’en réduire le prix. Que pensez-vous de cette mesure?
C’est un petit pas qui prouve que le gouvernement ne fait pas le minimum pour alléger le poids de la hausse vertigineuse des prix et protéger le pouvoir d’achat des populations. C’est pourquoi, nous avons introduit cette question dans l’accord du Pacte Républicain pour faire l’objet d’un consensus national. De notre point de vue, il ne doit pas être question de sacrifier la survie de nos populations pour se plier aux recommandations du FMI.
D’ailleurs les pays occidentaux n’ont pas hésité à jeter bas les sacro-saintes règles du libéralisme pour faire face aux crises sociales aigues résultant du COVID et de la guerre en Ukraine. Le gouvernement doit recourir à la subvention des produits alimentaires de première nécessité. De larges secteurs de nos populations n’ont presque plus de pouvoir d’achat et sont menacés de malnutrition voire de famine.
L’UFP serait-elle favorable à la dissolution de l’Assemble Nationale et la refonte de la CENI au cas où le dialogue prôné par le président Ghazwani réussirait ?
Suite à la contestation des élections municipales et législatives de 2023, la majorité de la classe politique avait contesté les résultats et réclamé leur reprise. Ce qui évidemment devrait passer par la refonte consensuelle du système électoral. Le Conseil constitutionnel ayant entériné lesdits résultats, toute reprise ne peut plus se faire légalement que par des élections anticipées. L’UFP a toujours avancé cette revendication et souhaite la voir adoptée par un éventuel dialogue national.
Vous avez eu à rencontrer, à plusieurs reprises le président Ghazwani lors de son premier mandat. Qu’avez-vous retenu de l’homme et de son bilan ?
Un homme affable et courtois qui a le sens de l’écoute. Il se dégage de lui le souci de bien servir son pays.
Quant au bilan de son premier mandat, on peut noter comme réalisations positives, sur le plan politique, la pacification relative de la scène nationale par l’ouverture au dialogue avec l’opposition, et sur le plan social, la généralisation de l’assurance maladie toujours en cours. Le dialogue, on en a plus parlé ces cinq dernières que réellement pratiqué. Toutes les initiatives dans ce cadre ont malheureusement fini en queue de poisson.
Quant au passif du pouvoir, il concerne surtout le non règlement des grands problèmes nationaux pendants. Tels ceux qui minent l’unité nationale (le passif humanitaire et la non éradication des pratiques esclavagistes, les pratiques discriminatoires), le contentieux électoral persistant, la gabegie, la détérioration du pouvoir d’achat, la protection des enfants et des jeunes contre la drogue et la criminalité qu’elle engendre etc.
Vous comprendrez que cette appréciation sévère du bilan du premier quinquennat explique notre maintien dans le camp de l’opposition.
Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh et Dalay Lam