L’ÉCRITOSE : J’ai lu avec un vif intérêt, sur les plateformes en ligne, l’entretien accordé à une chaîne sénégalaise par le président Messaoud Ould Boulkheir, figure emblématique de la scène politique nationale et, surtout, précurseur et leader historique incontesté de la cause haratine.
Sa vision, ses conseils avisés et son expérience dans la lutte contre l’esclavage demeurent des références légitimes et respectés, en dépit des fractures persistantes au sein de l’élite haratine.
Toutefois, et malgré le profond respect que je lui voue, je ne puis m’empêcher de réagir avec une certaine réserve à son analyse concernant la démarcation de la composante haratine. Dans cet entretien, le président Mesaoud Ould Boulkheir fait preuve d’une sagesse et d’un sens de l’équilibrisme politique qui, s’ils s’accordent à la hauteur de son parcours et de sa stature, semblent néanmoins révéler une stratégie de préservation, empreinte d’un conformisme prudent.
Ce positionnement, bien que compréhensible à certains égards, paraît aujourd’hui en décalage avec les aspirations profondes et les réalités socio-politiques vécues par la majorité des Haratines. Comme le sait pertinemment le président Messaoud Ould Boulkheir — sans doute mieux que moi —, la légitimité de la question haratine trouve sa source dans le passif esclavagiste, et non dans des considérations d’origine, de langue ou de culture. Il n’ignore pas non plus que le combat des victimes de l’esclavage vise, avant tout, à recouvrer leur liberté, leur émancipation et la pleine reconnaissance de leur dignité humaine, indépendamment de l’identité des sociétés qui les ont réduites à cette condition.
Dès lors, il va de soi que l’atteinte effective de ces objectifs passe inévitablement par une forme de démarcation claire vis-à-vis des anciens rapports de domination, afin d’échapper aux pièges persistants de la tutelle, du paternalisme et du conformisme d’inspiration néo-esclavagiste.
Être libre, émancipé et digne, c’est pouvoir s’assumer pleinement, se déterminer librement et faire des choix en toute conscience. S’agissant des Haratines, il ne saurait être question de démarcation linguistique ou culturelle, dans la mesure où la langue et la culture de leurs anciens maîtres sont également les leurs – pleinement assumées, et souvent revendiquées avec fierté.
En revanche, un clivage réel, d’ordre identitaire, statutaire et socio-économique, persiste et alimente leur aspiration à une démarcation politique. Celle-ci ne relève ni du rejet ni de la rupture gratuite, mais s’impose comme un impératif transitionnel dans le cheminement vers une Mauritanie plus équitable. Tant que perdure le système actuel, fondé sur des rapports de domination structurels, il est naturel que les Haratines s’inscrivent dans une dynamique de changement, tandis que leurs anciens maîtres tendent, pour l’essentiel, à défendre le statu quo et les fondements de l’ordre établi.
La revendication récurrente de reconnaître les Haratines comme une cinquième composante nationale s’inscrit dans cette dynamique légitime et fondée, en réponse à la persistance d’un conservatisme néo-esclavagiste qui s’emploie à les cantonner, au sein de la société hassanophone, dans un rôle subalterne — celui d’une communauté auxiliaire, voire accessoire —, perpétuellement exposée à une instrumentalisation politique dévalorisante. Cette exigence de reconnaissance reflète une volonté d’affirmation citoyenne, fondée sur la dignité, la justice et l’égalité des droits.
En cherchant, par sa voix hautement autorisée, à désavouer — voire à stigmatiser — les Haratines qui, aujourd’hui, aspirent à rompre avec l’indignité, l’instrumentalisation et l’effacement, au moment même où la question identitaire haratine s’invite dans le débat national, le président Messaoud Ould Boulkheir semble, hélas, conforter une rhétorique aux accents ambigus, parfois perçue comme blessante, notamment par une jeunesse engagée qui peine à comprendre une telle posture. Beaucoup ont été frustrés par sa sagesse et son nationalisme qui, à leurs yeux, tendent à ménager le statu quo, à composer avec un ordre établi où le suprémacisme demeure souvent manifeste — sans pour autant offrir d’espace au dialogue avec ceux qu’il semble considérer comme des voix « égarées ».
D’ailleurs, les Haratines ont-ils réellement d’autre choix que de se démarquer, lorsqu’on sait qu’ils demeurent marginalisés sur les plans social, économique et politique, et que leur combat légitime est trop souvent banalisé, méprisé, voire injustement diabolisé ? Ironie du sort, la stature et la notoriété du président Messaoud Ould Boulkheir tirent justement leur force de la singularité de son engagement, qui fut, en son temps, l’expression même de cette volonté de rupture salutaire.Pourquoi, dès lors, renier aujourd’hui une approche stratégique qui, sans provoquer de heurts, continue de porter les aspirations des Haratines vers plus de liberté et de reconnaissance ?
La dénonciation récurrente de prétendus discours de haine ou de replis identitaires relève moins d’une analyse objective que d’une rhétorique d’intimidation, souvent utilisée pour délégitimer des revendications pourtant fondées.S’il fallait adresser un reproche aux Haratines, ce serait peut-être moins leur radicalité que leur aliénation prolongée, leur fatalisme résigné et leur pacifisme obstiné face à l’injustice.
En tout état de cause, si les Haratines s’inscrivent naturellement dans un ensemble linguistique arabophone, leur prétendue « bidhanité » — et c’est là le nœud de la question — apparaît aujourd’hui comme une fiction caduque. Et c’est tant mieux, car cette clarification identitaire ouvre la voie à une évolution salutaire de la société mauritanienne vers un esprit citoyen plus juste, plus inclusif et davantage fondé sur l’égalité des droits. En conclusion, si je puis me permettre un conseil empreint de respect, ce serait de ne pas diaboliser le combat sincère d’une jeunesse haratine meurtrie par l’exclusion et la discrimination, tout comme l’a été le sien, à l’apogée de son engagement militant mené avec courage et détermination.
L’histoire retiendra son apport exceptionnel à la cause haratine, sans pour autant occulter les contradictions et les tensions inhérentes à toute trajectoire de lutte. En toute circonstance, il restera une figure historique majeure du combat pour la dignité, la liberté et l’émancipation des victimes de l’esclavage.Je lui souhaite, à cette occasion, longue vie et pleine santé.
MOHAMED DAOUD IMIGINE 6 MAI 2025