Le Nicaragua, nouvelle route de transit pour les migrants d’Afrique de l’Ouest

Le Nicaragua, nouvelle route de transit pour les migrants d’Afrique de l’Ouest

BBC Afrique – La route migratoire du Sahara fait souvent la une des médias avec son lot de morts et de trafic d’êtres humains. Aujourd’hui, un autre itinéraire fait fureur auprès des candidats à l’émigration clandestine: rallier les États-Unis via l’Amérique latine. Les noms des personnes ressources ont été changés pour des raisons de sécurité.

Dans une vidéo qui a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux au Sénégal, des ressortissants du pays de la Teranga assis à même le sol, dans la pénombre, répondent aux questions de la personne qui les filme, manifestement un agent américain. L’un d’entre eux, portant un maillot de football des champions d’Afrique, confie vouloir se rendre à New York, aux Etats Unis.

Tout comme ce groupe de sénégalais interceptés à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, Chérif (nom d’emprunt), de nationalité mauritanienne, a également emprunté les périlleuses routes de l’Amérique latine pour atteindre les États-Unis.

S’il a réalisé son rêve de rejoindre le pays de l’oncle Sam, Chérif n’arrive pas encore à s’intégrer et à trouver du travail. Depuis Philadelphie aux Etats unis, il nous explique les raisons de son départ de la Mauritanie.

« Au pays, je ne travaillais pas. J’étudiais le Coran mais je n’avais aucune activité génératrice de revenus », confie-t-il au bout du fil.

Chérif a découvert ce long chemin détourné qui mène aux États-Unis par l’entremise de ses amis. Certains l’ont d’ailleurs devancé puis lui ont fait miroiter le rêve américain. Il reconnait néanmoins que ce fut un trajet long, périlleux et parsemé de difficultés.

« Là où nous sommes passés, les gens ne nous considèrent même pas comme des êtres humains. J’ai subi du racisme, de la maltraitance physique et des paroles dégradantes », révèle-t-il sans entrer dans les détails.

Au mois d’août, l’Institut national mexicain des migrations (INM) a déclaré que 46 personnes, dont 19 originaires de la Mauritanie, avaient été « kidnappées » à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Selon les autorités mexicaines, ces migrants ont été privés de liberté pendant 4 jours. Ils ont été secourus lors d’une opération menée dans la ville de Sonoyta, située au nord du Mexique.

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) note une augmentation migratoire sans précédent en Amérique centrale et au Mexique.

« Le Service national de la migration du Panama fait état d’un nombre record de migrants ayant traversé la dangereuse jungle du Darien depuis la Colombie cette année. En date du 23 septembre, plus de 390 000 personnes ont bravé les dangers de cet itinéraire », affirme l’OIM dans un communiqué rendu public.

« 4 100 migrants d’Afrique ont traversé le Darien entre janvier et juillet 2023 », révèle l’organisation tout en précisant que ce chiffre a connu une baisse de 65% par rapport à l’année dernière.

Itinéraire

Pour connaitre l’itinéraire et les démarches que peuvent suivre ces migrants, nous avons contacté une agence de voyage qui propose l’entrée aux États-Unis en passant par le Nicaragua. Sur Tik Tok, celui que nous appellerons Amadou y propose ses services. Nous nous faisons passer pour un candidat sénégalais à l’émigration pour avoir plus d’informations sur les démarches.

Tout comme Chérif, Amadou est ressortissant Mauritanien. L’agence de voyage pour laquelle il travaille a également pignon sur rue à Dakar, la capitale sénégalaise.

« Il n’y a que deux choses à savoir, entre le Sénégal et le Nicaragua, c’est arriver à l’aéroport du Nicaragua et qu’on vous donne le visa. Il n’y a que le billet d’avion à payer et prévoir votre argent de poche », explique Amadou.

« Le billet, ça varie entre trois millions trois cents ou trois millions quatre cents F CFA (Ndlr: entre 5 000 et 5 300 euros) », tient-il à me préciser.

Si l’agence s’occupe du billet, son service ne s’arrête pas là. Elle met aussi le voyageur en rapport avec une chaîne de passeurs qui se chargeront d’aider les migrants à franchir les frontières de chaque pays de l’Amérique latine sur leur itinéraire.

Et l’argent de poche évoqué par Amadou sert justement à payer ces passeurs.

« Dès votre arrivée au Nicaragua, on va envoyer votre photo à quelqu’un. Il va envoyer sa famille pour vous accueillir à l’aéroport là-bas, et nous, on va vous envoyer leurs photos. Si tu les vois, tu vas les reconnaître directement. De toute façon, tu ne pars pas seul, tu vas partir en groupe » tente-t-il de rassurer.

« Pedro va vous faire quitter le Nicaragua jusqu’au Honduras. Tu payes 60 dollars [environ 37 230 f cfa]. Il va te mettre en rapport avec une autre dame qui s’appelle Sarah. Elle va assurer le trajet du Honduras au Guatemala. Tu lui payes 100 dollars [environ 62 050 f cfa]. Un autre prendra le relais. Il va continuer le chemin du Guatemala jusqu’à Tapachula qui est l’entrée sud du Mexique. Une fois arrivé à Tapachula, tu vas traverser à l’aide d’un bateau.

C’est Pilo qui va gérer. Tu lui paies 500 dollars [environ 310 250 f cfa] et Pilo va t’amener jusqu’à Cochitan [ville au Mexique]. Après, il y a Carlos qui est là-bas. Il va t’amener jusqu’à Mexico. Tu lui payes 8 000 pesos. Cela équivaut à 400 dollars [248 200 f cfa]. Et après Mexico, tu prends le bus et tu pars vers Las Conchas » m’explique Amadou.

Las Conchas est une ville à proximité de la frontière américaine de l’Arizona.

Amadou m’explique qu’à mon arrivée sur le sol américain, je serai certainement détenu dans un camp pendant quelques jours avant de pouvoir entrer aux Etats Unis. C’est là que s’arrête leur accompagnement. Débute alors le combat pour la régularisation du migrant.

En tout, le voyage aura coûté un peu plus de 6 000 euros.

Intégration

Dans un entretien accordé à la presse locale mauritanienne, Avan Stanley, consul américain à Nouakchott en Mauritanie, signale que « les immigrés mauritaniens sans papiers n’auront pas, une fois entrés aux Etats-Unis, le statut approprié pour y vivre ou y travailler officiellement. »

Depuis plusieurs mois qu’il est arrivé aux Etats Unis, Chérif se tourne les pouces et n’arrive toujours pas à trouver du travail dans l’Etat de Pennsylvanie où il se trouve.

Son logeur, Bounama (nom d’emprunt) qui vit aux États-Unis depuis 2001, accueille quatre autres personnes qui ont effectué le même périple que Chérif. Le plus jeune est âgé de 20 ans.

Bounama est souvent sollicité par les migrants qui cherchent un point de chute ou qui essaient d’avoir des informations sur la procédure de régularisation.

« Quand ils viennent ici, ils sont désorientés. Beaucoup de gens leur donnent de fausses informations en leur disant que si tu entres, tu vas avoir tes papiers, tu vas trouver le boulot facilement » explique Bounama. Pourtant, la réalité est tout autre car dès que les employeurs découvrent qu’un de leurs agents est un sans-papiers, ils préfèrent s’en séparer.

« Certains sont là depuis le mois de mai. Tous les lundi et jeudi, je les accompagne pour qu’ils déposent leur document d’asile. Cependant, nous peinons à les inscrire sur les listes car les agences qui aident les migrants sont débordées », affirme Bounama.

« On a un autre jeune de chez nous qui a payé 6 000 dollars [environ 3 700 000 f cfa] à un avocat. C’est sa sœur qui vit en Europe qui lui a envoyé cet argent. Et jusqu’à présent, l’avocat nous dit qu’il n’a pas le temps pour déposer son dossier », confie Bounama. Sans l’assistance d’un avocat, selon lui, le migrant a beaucoup de chance d’être renvoyé dans son pays d’origine.

Aujourd’hui, Bounama qui comptait rendre visite à son épouse en Mauritanie, se voit contraint de rester aux États-Unis afin d’assister ses compatriotes.

Malgré toutes ces tracasseries, Chérif ne se décourage pas. Son avenir, il le voit aux Etats- Unis : « Je ne me suis pas encore adapté, je n’ai pas encore la possibilité de sortir, de rencontrer des gens et de parler la langue. Mais, j’ai espoir de trouver du travail », affirme Chérif.

Papa Atou Diaw

https://cridem.org/C_Info.php?article=769147#:~:text=Le%20Nicaragua%2C%20nouvelle,6%20000%20euros.

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